Graveurs

Dans la galerie-boutique

L’espace était exigu, des gravures et des dessins sur les murs. Les dessins, des paysages surtout, minutieux, profonds, nuancés, intemporels aussi. Dans une vitrine des carnets de voyages avec des notes, beaucoup d’écriture et de temps à autre un croquis, un homme du pays, une femme, un scarabée, un arbre. L’écriture était incroyable, très petite avec des volutes, bien rythmée.

Dans un grand carton à dessin (motif Annonay vert), il y avait des gravures : une vue d’Istanbul inhabituelle, très belle sans rien de spectaculaire, pas un seul « Point of interest » n’attirait le regard, l’artiste était un voyageur pas un touriste. La galerie-boutique donnait directement sur la rue, au rez du trottoir. Une rue tranquille, la rue du Cherche-Midi à Paris. Il y avait 3 petites pièces en enfilade. Francis Payol était assis à un minuscule guéridon, il terminait son repas lorsque Florence Petitpas entra. Florence aussi était graveuse.

Conversation de graveurs

« Bonjour Francis, je n’ai pas pu venir l’année dernière, qu’as-tu fait cette année ? » Florence venait de publier un petit livre sur les tailles-douciers parisiens en leur atelier. Ils avaient cette passion en commun, le métier traditionnel qui se transmet d’amateur en ouvrier, dont on peut parler indéfiniment sans se lasser.

« J’étais à Buis-Les-Baronnies, face au rocher Saint-Julien. Les ciels, la lumière, la végétation, j’ai dessiné et j’ai dessiné. Et toi ? ». Passer 10 ou même 15 jours sur le même dessin avec son porte-mine 0,3 millimètres, pas très rentable, il le savait. Contemplatif, chaque dessin était un voyage. Cela tombait bien, l’heure n’était plus aux séjours lointains, retournerait-il en pays Dogon ou dans le delta du Mékong entre deux séjours parisiens ?

« Mon livre est enfin sorti. Auguste a écrit la préface ! » Auguste Pradel était une figure de ce petit milieu de l’estampe, il avait régné sur la réserve des Estampes à Richelieu et pratiquait lui-même – et fort bien – le métier.
« Oui, dans les Nouvelles de l’estampe »
« C’était à Custodia ou à Taylor ? »
« J’avais vendu la matrice »
« L’empreinte de la presse est parfaite »
« Il grave à bois perdu »
Et comme une respiration, leurs mots s’entremêlaient inaccessibles au profane.

Souvenirs romancés. Novembre 2020.

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